Stevie Wonder est une icône chère au coeur des américains, un génie du R&B mais pas seulement. Il est populaire au delà des frontières musicales.
Sa conscience et sa connaissance de la musique ont abouti à une musique colorée, vibrante, ambitieuse. Presque tout ses titres transpirent la vie, la joie et un esprit positif indestructible. Même lorsqu’il aborde des sujets aussi graves que le racisme, les problèmes sociaux ou religieux, il le fait avec optimisme et avec un espoir tout aussi indestructible. Tout comme Ray Charles, source d’inspiration majeure, Stevie Wonder a un appétit féroce pour tout les genres de musique. Il a toujours refusé de se laisser enfermer dans un seul genre. Ses meilleurs albums sont un patchwork de funk, de soul, de reggae, de rock, de jazz avec des éléments de musiques africaines. Le tout avec sa touche, son style et sa voix unique, élastique, mélodique. Son don pour les arrangements complexes, son goût pour les ballades sont pour beaucoup dans son succès qui couvre plus de cinquante années.
Stevie Wonder est aussi un pionnier du synthétiseur dans les années 70. A une époque où peu croit dans cet instrument, lui l’utilise changeant ainsi le visage du R&B. Herbie Hancock et Miles Davis en feront de même dans le jazz. Comme Marvin Gaye et Isaac Hayes, il est un artisan qui conçoit ses albums avec des compositions qui prennent souvent du temps avant d’être appréciées parce que complexes mais cohérentes et souvent en avance sur leur temps. Voilà pourquoi Stevie Wonder est l’un des plus grands auteurs de son temps ayant comme seuls concurrents Gaye puis plus tard Prince.
Au départ, Wonder est un enfant prodige qui débute chez Motown. Mais très vite, il prend le contrôle de sa musique imposant ses visions et sa conception de la musique. Nous sommes dans les années 70. Il enregistre une série d’incroyables albums qui seront aussi populaires chez le public que chez les critiques. Sa réputation toujours aussi vive aujourd’hui se fait à cette époque avec les albums « Talking Book », « Innervisions » et « Songs In The Key Of Life ». Son influence depuis a été constante. Ce n’est pas un hasard si les Daft Punk lui demande d’être là en 2014, à leurs côtés pour la soirée des « Grammy ».
Stevie Wonder, Steveland Hardaway Judkins de son vrai nom, est né en 1950. Enfant prématuré, il est mis sous oxygène et incubateur. C’est peut être ce traitement, l’excès d’oxygène, qui entraineront une retinopathy prématurée le rendant aveugle.
En 1954, sa famille s’installe à Detroit. Il chante dans les églises, apprend le piano, la batterie et l’harmonica, sa marque de fabrique. Il n’a que neuf ans…En 1961, Ronnie White du groupe « The Miracles » signé chez Motown l’entend et lui arrange une audition avec Berry Gordy (créateur et patron de la Motown pour les plus jeunes ou les plus incultes). Gordy n y réfléchie pas longtemps et lui offre immédiatement un contrat. Il fera équipe avec le producteur et compositeur Clarence Paul et prendra le nom de « Little Stevie Wonder ». Deux albums voient le jour en 1962. On y sent déjà ses aptitudes pour le piano, l’harmonica. Les ventes sont faibles mais ça va changer en 1963. Cette année sera celle de l’album « The 12 Years Old Genius » et de la version instrumentale de « Fingertips ». N°1 des classements R&B et pop ! L’album est également le premier succès de la Motown. Il enregistre quelques singles à succès les années suivantes mais aucun n’atteindra celui de « Fingertips ».
Ensuite, le petit Stevie grandit et sa voix mue. Sa carrière est alors mise entre parenthèse. Il en profite pour étudier la musique classique, particulièrement le piano classique. Il laisse tomber le « little » devant son nom d’artiste. 1964, retour avec « Uptight (everything’s alright) », un classique du son Motown N°1 des ventes R&B et N°5 du top pop. Petit à petit, l’homme s’engage dans la lutte sociale. Le premier signe de cet activisme sera sa reprise du « Blowin’ In The Wind » de Bob Dylan en 1966 suivi de « A Place In The Sun ». Cet activisme marque également le début des désaccords entre Stevie et la Motown. Ses convictions d’homme n’ont pas un résultat positif sur son travail et c’est toujours la Motown qui, par contrat, peut imposer la direction artistique à suivre.
C’est l’époque où Wonder va prendre un peu plus la main sur sa carrière. Désormais, Il écrit ou co-écrit la plupart de ses chansons. C’est le cas avec « Hey Love », « I Was Made To Love Her » et « For Once In My Life ». A partir de 1968, son ambition grandissante est palpable. Non seulement il écrit mais il produit aussi ses albums. En 1969, « My Cherie Amour » est un succès international. L’album « Signed, Sealed & Delivered » porte sa marque de A à Z. Il a co-écrit la chanson du même nom avec Syreeta Wright qu’il épouse en 1970. La Motown lui demande alors d’écrire pour d’autres artistes de l’écurie. Il en résulte « It’s a shame » pour les Spinners et « Tears of a clown » pour les Miracles, N°1 au top pop.
1971 marque un tournant dans sa carrière. Pour ses 21 ans, le contrat avec Motown arrive à terme et ses droits d’auteurs tombent directement dans ses poches. Il enregistre « Where I’m Coming From », premier album entièrement auto-produit, premier album où les claviers et synthétiseurs dominent l’ensemble. Mais le succès commercial n’est pas au rendez-vous. Cependant, Stevie Wonder montre clairement sa volonté d’aller de l’avant sans se soucier des ventes. Ce qui compte, c’est la cohérence artistique d’un album. Il construit ses propres studios et renégocie son contrat avec Motown. Désormais, il aura la main sur ses éditions et ses royalties seront beaucoup plus élevées. Plus important encore, il aura le contrôle total sur ses choix artistiques. Il suit l’exemple de Marvin Gaye avec « What’s Going On ». Des années plus tard, Prince se battra pour les mêmes raisons avec la Warner.
Libéré du dictat de la Motown, il enregistre un album sur lequel il fait tout seul : « Music Of My Mind ». Il y repousse les barrières du R&B de l’époque. La ballade « Superwoman (Where Were You When I Needed You) », aérienne, synthétique rencontre un beau succès. Elle sera repris vingt ans plus tard par Freddie Jackson et le saxophoniste Najee, preuve de l’empreinte forte de son travail. Dans le même temps, sa vie personnelle bat un peu de l’aile. Il divorce de Wright même s’ils restent amis. Il écrira même des titres dont il sera producteur pour son premier album. Il part en tournée avec les Rolling Stones, beau tremplin pour rendre son travail accessible à un public plus large. En d’autres termes, pour toucher le public blanc à l’international.
C’est l’album suivant qui fait de lui une star mondiale. « Talking Book » sort en 1972. Il met en avant sa maîtrise de l’expérimentation, de l’électronique. C’est l’album des titres « Superstition » et du « You Are The Sunshine Of My Life », des standards de son répertoire et du patrimoine musical mondial. Trois « grammy » pour le monsieur.
étonnamment, Stevie Wonder monte encore la barre d’un cran avec l’album suivant. « Innervision », concept-album de 1973, fait un état des lieux de la société contemporaine. A mettre au même rang que le « What’s Going On » de Marvin Gaye. Le titre « Living For The City » est une chronique de la vie dans les ghettos noirs américains tandis que « Higher Ground » est une introspection spirituelle. Un « Grammy » pour le monsieur ! Et il a de la chance d’être encore là pour vivre pleinement son bonheur. En effet, il sort d’un grave accident avec des blessures sérieuses et un coma dont il se remettra pleinement.
L’album suivant, « Fulfillingness’ First Finale », moins accessible, est fortement empreint de cet évenement. Cependant, « Boogie On », « Reggae Woman » et « You Haven’t Done Nothin' » (critique acerbe de la politique de Richard Nixon) sont N°1 des ventes R&B. Et un grammy pour le monsieur ! Nous sommes en 1974 et Stevie Wonder prend un peu de recul. Il se retire pendant deux ans dans ses studios pour la conception d’un chef d’oeuvre : « Songs In The Key Of Life ». Son album le plus ambitieux et le plus long. Le point culminant de sa carrière selon de nombreux critiques. « Sir Duke » (un hommage à la musique et à celle de Duke Ellington en particulier), le très funk « I Wish », le classique « Isn’t She Lovely » (autre standard de sa carrière écrit pour la naissance de sa fille), le « Pastime Paradise » (repris vingt ans plus tard par rapper Coolio et par Ray Barretto) sont tous sur ce double album exceptionnel. Et un grammy pour le monsieur !
Mais ce chef d’oeuvre marque également la fin d’une ère dominée par Wonder, un coup d’arrêt à cette prolifique créativité. Après 1976, les temps seront plus durs pour Stevie même s’il signera encore quelques hits planétaires.
Il a mis tellement d’énergie dans la conception de « Songs In The Key Of Life » qu’il reste tranquille pendant trois années. Son retour a lieu en 1979 en pleine ère disco. « Journey Through The Secret Life Of Plants » prend tout le monde à contre-pied. C’est un album presque exclusivement instrumental. Il y a bien quelques titres pop chantés comme « Send One Your Love » mais l’album est symphonique.
Pour vite calmer les rumeurs sur son incapacité à revenir sur le devant de la scène, il enregistre « Hotter Than July ». Nous entrons dans les années 80 avec « Master Blaster (Jammin’) », titre qui flirt avec le reggae et « Happy Birthday » en hommage à Martin Luther King. Deux hits planétaires. D’un point de vu artistique, « Hotter than July » est un peu en dessous de ses albums précédents mais d’un point de vu commercial, c’est une réussite. C’est son premier album de platine.
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Ensuite il peine pour la sortie d’un nouvel opus. Il est très occupé avec les autres. En 1982, sa chanson contre le racisme en duo avec Paul McCartney (« Ebony and Ivory ») est N°1 dans de nombreux pays. Une compilation avec quatre nouvelles chansons est commercialisée (« Original Musiquarium »). En 1984, déjà quatre ans sans nouvel album. Mais il compose pour la B.O. Du film « The Woman In Red » de Gene Wilder. La chanson « I Just Called To Say I Love You », adorée par le public (sa plus forte vente single) est détruite par la critique qui la juge simplette. Un oscar pour la meilleur chanson de film !
En 1985, après cinq ans d’absence, le nouvel album est enfin là. Il s’agit de « Square Circle ». « Part Time Lover » est N°1 mais ce sera la dernière fois qu’il se retrouve dans les meilleures ventes. En 1985, Michael Jackson, Prince, Lionel Richie, Madonna sont les stars. Le hip-hop prend une importance grandissante et les claviers et synthétiseurs sont partout. Les arrangements électroniques de Wonder sont désormais monnaie courante.
Il participe à l’enregistrement du « We Are The World », enregistre avec Dionne Warwick et revient avec l’album « Characters » en 1987. Ce sera le dernier album de la décennie. Très peu d’impact. En 1991, son retour a lieu avec une nouvelle B.O., celle du film « Jungle Fever » de Spike Lee.
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1995, nouvel album huit ans après le dernier. « Conversation Peace » est une grosse déception commerciale. Il remporte quand même deux « grammy » pour la chanson « For Your Love ». C’est de façon détournée que Stevie Wonder marque l’année 1995. En effet, le plus gros succès de l’année est le single de Coolio, reprise de sa chanson « Pastime Paradise ».
1996 est l’année de son duo avec l’emblématique producteur des années 90 : Babyface. Leur duo « How Come, How Long » est un moment fort de l’album « The Day » de Babyface.
Depuis, Stevie Wonder a participé à quelques enregistrements, avec « No Jazz » par exemple. Sa présence aux côtés des daft punk avec Nile rodgers, Pharrell Williams, Nathan East et Omar Hakim est un grand moment de la soirée des « Grammy » 2013. Au total, Stevie Wonder, c’est une carrière de 43 années. Un monstre sacré.
Discographie Selective
Signed, Sealed and Delivered (1970, Motown)**
Music Of My Mind (1972, Motown)***
Talking Book (1972, Motown)***
Innervisions (1973, Motown)***
Songs In The Key Of Life (1976, Motown)***
Hotter Than July (1980, Motown)***
In Square Circle (1985, Motown)**
A Time To Love (2005, Island / Motown)**
Artistes du même genre ou de la même époque : Bill Withers, Marvin Gaye, Donny Hathaway, Bobby Womack, Lionel Richie, Terry Callier, Isaac Hayes, The Temptations, Allen Toussaint, Smokey Robinson, Al Green.