Pierre Chrétien semble infatigable tant il est prolifique et inspiré. En moins de dix ans, création de son label, pas moins de trois formations et bien plus d’albums qui portent sa marque, comme musicien ou comme compositeur : « The Souljazz Orchestra », « Atlantis Jazz Ensemble » et « Cinephonic ».
À l’occasion de la sortie du premier album des « Cinephonic », nous avons pris un peu de temps pour nous entretenir avec ce fou de travail…
Musiculture : Je voie que tu vis en Ontario mais ton nom est très « québécois » : d’où es-tu exactement ?
Pierre Chrétien : de l’Ontario ! Les gens ne savent pas toujours qu’il y a des Francophones un peu partout en Amérique du Nord. Je suis Franco-Ontarien, j’ai toujours vécu en Ontario, mais je suis descendant de Francophones du Michigan (aux États-Unis) sur le côté de mon père, et d’Acadiens du Nouveau-Brunswick sur le côté de ma mère. Alors en fait je n’ai pas vraiment de lien avec le Québec.
M : Sur ton « bandcamp », tu revendiques des racines dans les B.O. de film des classiques français : pourquoi est-ce important pour toi ?
P.C. : Oui, le projet « Cinephonic » a été fortement inspiré de la musique de film française… J’adore comment des compositeurs comme François de Roubaix, Francis Laï et Michel Legrand réussissent à combiner leurs influences classiques européennes avec le jazz, la soul et le funk nord-américains – c’est bizarre, ce sont deux mondes qui ne devraient pas être compatibles, mais leur mariage peut être parfois sublime.
M : Les paradis artificiels : pourquoi ce titre ?
P.C. : Le titre « Les Paradis artificiels » est emprunté à M. Charles Baudelaire. Je l’ai choisi dans ce contexte parce que je trouvais que chaque morceau sur le disque avait une sonorité un peu céleste et orchestrale, même si en fait il n’y a pas de véritable orchestre symphonique sur l’album – une fois que j’ai tout orchestré, j’ai enregistré chaque instrument de l’orchestre (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, etc.) au mellotron, le vieux clavier à bandes magnétiques rendu fameux par les Beatles – alors ces morceaux représentent des « paradis artificiels » en quelque sorte. Mais j’aimais aussi que c’était un titre évocateur qui se prêtait à différentes interprétations.
M : Avec toi, Robert Biesewig, batteur qui a joué avec le « Wu » : pourquoi ce choix ?
P.C. : Parce que c’est un monstre ! Robert est un batteur impeccable, qui ajoute une certaine dureté urbaine à l’album – sans lui, le disque risquerait peut-être d’être un peu léger. En plus, Robert sait comment retirer le meilleur son possible de sa batterie, et il est super fan de technologie analogique, comme moi. C’est aussi un gars super sympa, on s’entend bien. Je peux voir pourquoi des groupes comme le Wu-Tang Clan aiment travailler avec lui.
M : Dans tes différents projets (Cinephonic, Souljazz orchestra), ce n’est pas du jazz pour puristes : le hip-hop semble très important pour toi. Est-ce le cas ? quelle période ?
P.C. : Le hip-hop est important pour moi, mais encore plus ses sources dans la soul et le funk. Adolescent, au début des années 90s, j’étais accro de hip-hop, mes producteurs préférés à l’époque étaient Pete Rock, DJ Premier, RZA. Mais j’ai toujours été fan de soul et de funk en plus, et ça ne m’a pas pris de temps à explorer les sources des samples utilisés dans mes tracks de hip-hop préférées.
M : En écoutant « Les Corbeaux », j’ai pensé à Wax Tailor ou DJ Cam, des influences à toi ? ou peut-être des proches ? ou pas du tout c’est une idée fausse ?
P.C. : Ah, je ne connais pas très bien le hip-hop français…J’imagine qu’on doit avoir des influences nord-américaines en commun !
M : « Marlow Records » : ton label ? et sinon, comment les as-tu rencontrés ?
P.C. : Oui, Marlow Records c’est mon propre label. Je l’ai mis en place, mine de rien, en 2011, pour la parution du premier album de « Slim Moore & The Mar-Kays ». Au fil des années, les albums se sont tranquillement ajoutés au label.
M : « Atlantis Jazz Ensemble », « Souljazz Orchestra » et « Cinephonic », tu joues et surtout tu composes pour les trois formations. Deux questions : comment réussis-tu à trouver une identité sonore pour chaque groupe ? et deuxième : tu dors la nuit ?
P.C. : C’est important de ne pas avoir peur de s’imposer des limites – Messiaen appelait ça « le charme des impossibilités ». Avec « Souljazz », tout est à base de soul et de jazz, mais avec une forte saveur tropicale. Avec « Atlantis », on reste orienté vers le jazz spirituel. Avec « Cinephonic », je me concentre sur la musique de film.
Et oui, je suis occupé, mais les choses ne roulent pas toujours à fond avec chaque groupe, ça va par vague !
M : Qu’as-tu souhaité de différent sur cet album ?
P.C. : Eh bien, comme mes compositeurs préférés de musique de film, j’ai voulu ajouter des éléments de musique classique orchestrale à mes compositions de soul, jazz et funk. Il y a quelques années, j’ai eu la chance d’étudier la composition et l’orchestration auprès du compositeur Steven Gellman, qui lui-même avait été élève de Darius Milhaud et d’Olivier Messiaen, alors j’ai longtemps voulu explorer ce monde un peu plus, sans nécessairement faire le saut complet en musique classique.
M : Est-ce plus difficile pour toi sur le continent nord-américain ou en Europe ? ou si tu préfères : où ton public est-il le plus important ?
P.C. : C’est certain que le public pour les musiques qui m’intéressent est plus important en Europe. Mais on a des fans loyaux un peu partout dans le monde, c’est toujours surprenant de voir où finit notre musique.
M : Question « prise de tête » que j’aime bien poser à la fin : les 10 albums dont tu ne pourrais pas te séparer ?
P.C. : Et bien, je vais essayer de rester dans le thème, je te donne mes 10 albums de soul cinématique dont je ne pourrais me séparer !
François de Roubaix – Les Lèvres rouges (BOF), Francis Laï – Un Homme qui me plaît (BOF), Jean-Claude Vannier – La Horse (BOF), Michel Legrand – Brian’s Song Themes & Variations (compilation), Stringtronics – Mindbender, Isaac Hayes – Hot Buttered Soul, Dorothy Ashby – Afro-Harping, The Cannonball Adderley Quintet & Orchestra – Experience in E, David Axelrod – Song of Innocence, David Axelrod – Songs of Experience.
Cinephonic « Les Paradis Artificiels » (Marlow, 2020)*** Acheter
Discographie Sélective
Slim Moore and the Mar-Kays « introducing Slim Moore & the mar-kays » (Marlow, 2011) *** Acheter
The Souljazz Orchestra « Under Burning Skies » (Strut, 2017)*** Acheter
Atlantis Jazz Ensemble « Oceanic Suite » (Marlow, 2016)** Acheter