Surnommé « Black Moses » au sommet de sa popularité, ce chanteur, pianiste, compositeur, arrangeur, producteur et acteur a révolutionné la musique soul en passant son format de 5 minutes à des titres de 15 minutes.
Issac Hayes a donc changé le format de la soul mais il en a également changé le son. Avec lui s’ouvrait l’ère des orchestres symphoniques dans la musique « soul ». Il inaugure disco et rap. La génération trip-hop de Bristol des années 1990 utilisera sa musique. Voir les Portishead et leur « Glory Box » (construit sur son « Help Me Love »). Une star et bien plus en fait, une source d’inspiration.
Née en 1942, à Covington dans le Tennessee, USA, la vie ne s’annonçait pourtant pas brillante. Ses parents meurent alors qu’il n’est qu’un enfant. Il est élevé par ses grands-parents avec sa sœur. Il n’a que sept ans lorsqu’ils s’installent à Memphis. Puis, lorsqu’il a dix ans, c’est au tour de son grand-père de disparaitre. Il devient de fait l’homme de la famille. Adolescent, il partage son temps entre l’école, de petits emplois et l’apprentissage du piano et du saxophone.
De l’église où il se produit pendant les cérémonies, il passe au circuit des clubs de Memphis. Il joue avec des groupes aux noms aussi improbables que « Sir Issac and the doo-dads », « the Teen Tones » ou « Sir Calvin and his swinging cats ». Il imite souvent Brook Benton, star de l’époque. En 1962, il enregistre son premier titre intitulé « Laura We’re On Our Last Round ». L’année suivante, il assure le piano sur « Boot-leg » pour le bariton Floyd Newman signé sur le label « Stax« …
Hayes est vite recruté par « Stax Records ». En 1964, il joue du saxophone pour les Mar-keys. Son association avec la maison de la soul sera longue et prolifique. Après avoir assuré quelques sessions avec Otis Redding, Rufus Thomas et les Booker T and the M.G.’s, il est engagé comme saxophoniste officiel du label. Finalement, il devient partenaire de David Porter comme compositeur. Sous le pseudo « Soul Children », le duo Hayes-Porter va composer plus de 200 chansons dont certaines sont des standards de la soul music. Citons « Soul Man » et « Hold On I’m Coming » pour Sam & Dave et « B-A-B-Y » pour Carla Thomas.
1967 sera l’année de son premier essai en solo. « Presenting Isaac Hayes » est son titre. Il sera la plus forte vente chez « Stax » tout au long de sa riche carrière. Deux ans plus tard, l’album « Hot Buttered Soul », considéré par beaucoup comme son chef d’œuvre, voit le jour. C’est l’album de sa marque de fabrique : des titres proches des 15 minutes, de la sensualité, des arrangements léchés dominés par cuivres et cordes, le solide « groove » des Bar-Kays, un look imposant (crâne rasé, bijoux en or, lunettes noires) et cette voix inimitable, inspiration majeure pour Barry White. Un artiste charismatique vient de voir le jour. La suite sera admirable.
Après deux superbes albums de plus (« The Issac Hayes Movement » et « To Be Continued »), il enregistre le titre de sa carrière, sa plus forte vente, son emblème, le classique repris de nombreuses fois les décennies suivantes, identifiable dès les premières notes : « Shaft » ! Le titre et l’album sont N°1 des ventes en 1971. Il remporte le « Academy Award » de la meilleure musique de film (il est le premier afro-américain à remporter ce prix) et un « oscar » pour la meilleure B.O..
Désormais, il alternera albums solo et musiques de films. Après le très réussi « Black Moses » (1971) suivi de « Joy » (1973), il compose les musiques de « Tough Guys » et « Truck Turner » (1974) dans lesquels il joue également. À ce moment précis, il est unique en son genre. Le premier artiste soul parti de la pauvreté à devenir chanteur, musicien, producteur, compositeur, acteur et arrangeur de musiques de film.
Ce qui devait arriver arriva : embrouilles sévères avec « Stax » pour les droits d’auteur. Il signe avec « ABC » et crée son propre label (« Hot Buttered Soul »). « Chocolate Chip », son premier album à voir le jour dans ce contexte est vite disque d’or. Mais, même si son « Groove-a-Thon » de 1976 est également disque d’or, il attire moins de monde. Le management du label ainsi que ses associations dans les affaires mènent à la faillite en 1976. Il doit 6 millions de dollars…En 1976, il compose l’hymne de la célébration du bicentenaire de la fondation des USA pour la Maison-Blanche.
Il signe avec « Polydor ». En 1977, son double album « A Man And A Woman » enregistré avec Dionne Warwick marque son grand retour. Les chansons « Zeke The Freak », « Do You Wanna Make Love » et « Don’t Let Go » sont des succès commerciaux. Deux ans plus tard, « Royal Rappins » enregistré cette fois avec Millie Jackson connait la même réussite. En 1981, il joue un rôle inoubliable dans le film de John Carpenter « Escape From New-York » (« New-York 1997 » en français). Il s’éloigne des studios pendant cinq ans. Sa grande période avec le succès prend fin ici. Néanmoins, il trouve du temps pour co-écrire, produire et arranger deux albums pour le trompettiste Donald Byrd (Love Byrds, 1981 / Words, Sounds, Colours & Shapes, 1982). On le voit également dans la série TV « Starsky & Hutch ».
En 1986, après cinq ans d’absence, il tente un retour chez « Columbia / Sony ». Même si le titre « Ike’s Rap » entre dans le top 10 (le premier depuis 12 ans), rien n’est plus pareil dans le paysage R&B. En 1992, il est chez « A&M ». Sa chanson « Dark & Lovely », enregistrée avec Barry White, dont les innovations instrumentales et le bariton s’inspirent largement de son travail, sera sa dernière entrée dans les meilleures ventes.
En 1995, alors qu’il apparait comme l’un des pionniers du rap, il entre dans l’église de scientologie. Il enregistre « Branded » et sa version instrumentale intitulée « Raw and Refined ». Il prend le nom de « Nene Katey Ocansey I » et s’implique dans la politique du Ghana tout en continuant composition, apparitions dans des films et engagement humanitaire.
En 1997, il prête sa voix à un personnage de la série « South Park ». La série lui redonne une visibilité perdue. Il touche la nouvelle génération et apparait alors comme une icône de la culture noire-américaine. En 2000, il faisait une apparition dans la reprise du film « Shaft ». Samuel Jackson y reprenait son rôle. Un an plus tard, il était musicien et arrangeur sur l’album « Songs In A Minor » d’une certaine Alicia Keys…
Le 10 août 2008, alors âgé de 65 ans, il s’écroule chez lui, dans sa maison de Memphis. Crise cardiaque. Quelle carrière ! Peu d’artiste auront eu autant d’influence dans les années 1960 et 1970. Il aura assuré le succès de « Stax » (label majeur de la soul avec « Motown »), installé les bases du disco, annoncé l’arrivée du rap et servi de base à un groupe culte des années 1990, les Portishead. Quentin Tarantino s’est inspiré de lui pour son personnage « black » de « Pulp Fiction » (joué par Samuel Jackson). Destin inouïe, respect total.
Discographie Sélective
Presenting Isaac Hayes (1967, Stax)** Acheter
Hot Buttered Soul (1969, Stax)*** Acheter
To Be Continued (1970, Stax)** Acheter
The Isaac Hayes Movement (1970, Stax)*** Acheter
Shaft (1971, Stax)*** Acheter
Black Moses (1971, Fantasy / Stax)*** Acheter
Joy (1973, Stax)*** Acheter
A Man and A Woman (1977, Soulmusic)**
New Horizon (1977, BBR)** Acheter
Royal Rappin’s (1980, Southbound)** Acheter
Branded (1995, Point Blank)*** Acheter