Nouveau venu dans le rap français, Luidji nous offre son premier CD après avoir soigneusement imposé son style sur internet. Un artiste intelligent, cultivé avec la tête bien sur les épaules. Rencontre.
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Musiculture : « Tristesse Business » : une référence à l’état du marché du disque ?
Luidji : pas du tout ! Ce titre sonnait bien et c’est plus une référence à la vie, à ma vie. Comment tirer partie des malheurs et de la tristesse qui peut parfois en découler et comment en faire un business, c’est surtout ça le sens de ce titre.
M : Votre niveau de production est incroyable. Le son est propre, léché comme l’image. Ça peut parfois rappeler le R&B des années 1990.
L : Ah oui ? moi, je suis un pur produit de cette décennie. D’abord parce que j y suis né, ensuite parce que j’ai grandi avec ça. Mais je ne sais pas si c’était une intention consciente…Je pense que c’est juste culturel, c’est dans notre ADN. Ce que j’écoute, ce que mes producteurs écoutent fait référence à ces années là. C’est en nous et ça nous rend un peu nostalgiques comparé à aujourd’hui, je crois. Les gens ne prennent plus le temps de se focaliser sur la production, le mix, le mastering, l’image, la pochette de l’album, la façon de communiquer avec le public…C’est tout un travail qui avait une réelle importance dans les 90’s.
M : La qualité de votre son, qui en est responsable ?
L : pour ce qui est de la réalisation, du « storytelling », de la construction de l’ensemble, tout sort de mon cerveau. Ensuite, tout est question de rencontres. Mon équipe est constituée de personnes rencontrées au minimum il y a 4-5 ans, pour certains ça remonte même à 11 ou douze ans. Celui qui a produit une grande partie de l’album s’appelle Ryan Koffi, un petit jeune de 20 ans originaire de Metz. Il m’a envoyé des mails, espérant travailler avec moi. J’ai halluciné sur la qualité de son travail. J’étais très content. Notre première collaboration date de deux ans environ. Il a dédié sa vie à la musique. Nous avons commencé sur internet et nous sommes devenus amis ensuite.
M : Pour les textes, c’est autobiographique ?
L : Je n’irais pas jusqu’à dire ça mais tout est tiré de ma vie à la base.
M : Il est souvent question d’amour, de romantisme et de femmes. C’est si important ?
L : Oui, ça a régi une grande partie de ma vie jusqu’à présent et j y suis très sensible. Je ne pouvais pas passer à côté de mes histoires affectives. Elles m’ont construit. Mais cet album est une première étape avant d’aborder des thèmes plus…profonds.
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M : Comment vos expériences de vie impactent-elles vos textes ? Par exemple, vous avez travaillé aux urgences d’un hôpital, ça vous sert pour l’écriture ?
L : En fait ça ne m’a pas tant servi que ça pour écrire mais l’impact humain et psychologique a été très important. Personne ne vient aux urgences pour des motifs positifs. Les histoires de ces gens m’ont permis de relativiser énormément dans ma propre vie. L’impact a donc été psychologique et physique. Entendre souffrances et complaintes douze heures par jour, c’est épuisant. Une motivation essentielle pour savoir ce que je voulais vraiment faire. Ne plus affronter tout ça était la priorité. Même si seulement 10 à 20% des cas sont de vraies urgences, c’est très pénible.
M : La culture hip-hop vous a aidée dans ces moments là ?
L : Mes pensées étaient de réussir dans la vie et pas seulement dans le hip-hop. Si ça passe par un bon disque, OK ! Sortir de l’enfer de l’hôpital était ma priorité. Je ne concevais pas ma vie là et j’ai fais le nécessaire pour en sortir.
M : cette culture semble importante pour vous néanmoins. Vous avez écrit un titre sur Basquiat…
L : Les valeurs de la culture hip-hop dépassent ce cadre. Elles sont partie d’une culture plus large et plus fédératrice. Le hip-hop, c’est l’instinct humain, le partage, la bienveillance. J’aimerais qu’on ne réduise pas ces valeurs à la seule culture hip-hop. J’ai rencontré bien des milieux qui gagneraient à se rapprocher de ces valeurs que l’on peut désigner par « humanisme ». Quand dans mon titre « Foufoune Palace » je dis « la famille avant l’oseille », c’est un principe de vie. A la base, ma force vient de mon éducation. Celle acquise avec mes parents mais aussi celle de l’école et celle transmise par les amis que je me suis choisi.
M : Je reviens sur ce souci d’esthétisme, très fort chez vous dans les clips comme dans la musique. Pourquoi est-ce une priorité ?
L : C’est pertinent je pense. Comment mettre en exergue textes et messages…Bien réfléchir au produit qu’on propose, c’est important. J’aime pouvoir m’identifier à l’image d’un album et surtout je veux que celle-ci colle au son sinon il y a problème. Même chose pour la scène, si l’atmosphère live ne correspond pas au contenu de l’album, il y a problème. Une fois cela bien identifié, il reste à créer un projet homogène. Ça prend beaucoup de temps, pas forcement énormément d’argent. Mais du temps, si. Une carrière se construit dans la durée.
M : Un vrai retour aux bases du marketing ?
L : Je crois que c’est l’absence de peurs qui me permet d’avoir cette démarche. La plupart des artistes ont peur : peur de ne pas ressembler au modèle dominant, peur de ne pas vendre assez, peur de ne pas comptabiliser assez de vues, peur de ne pas rapporter assez d’argent…Ces peurs les paralysent et les empêchent d’avancer. Moi, non. Rien ne compte plus que la satisfaction par le travail, le bien-être. Fortune et popularité, pas une priorité. Constance et authenticité, c’est ça qui m’intéresse…
M : Maintenant que l’album est là, quelle est la priorité ?
L : La scène ! J’aimerais que le concept de l’album, ses messages, soit transmis en concert. Je ne veux pas juste d’un DJ, d’un rapper et de quelques samples, je veux toute une scénographie, un vrai spectacle, avec des musiciens acoustiques. J’ai une vision très pointue de la scène qui s’adresse à des passionnés de musique. Je veux qu’ils « kiffent » mes concerts !
M : Dans la lignée des « The Roots » ou des « Hocus Pocus« , quoi ?
M : Luidji est envoyé sur une île déserte sans retour possible avec seulement cinq titres. Que prend-il ?
L : Alors, voyons…Warren G et Nate Dogg « regulate »…euh, c’est de la torture (rires)…hum…un 2pac, le « California Love » pour bien faire la fête sur l’île (rires). Le « Beautiful » de Snoop et Pharrell, « runaway » de Kanye West et…c’est horrible !…et le « Sweetest Taboo » de Sade, c’est dit !
Luidji « Tristesse Business, saison 1 » (2019, MCA)** Acheter