7 décennies de musiques, 27 Grammy Awards, la production du plus gros succès commercial du XXe siècle, compositeur, arrangeur, producteur, saxophoniste et une empreinte profonde sur plusieurs genres musicaux, du jazz au rap en passant par pop, R&B et bandes originales de films, c’était ça Quincy Jones.
Tout au long du XXeme siècle, chaque personne aura entendu au moins une fois une chanson ou une musique composée ou produite par Quincy Delight Jones Jr alias Quincy Jones. Certains l’auront connu par le jazz, d’autres par le R&B, d’autres encore par le rap ou le cinéma. Chaque génération de ce siècle aura un peu vécu avec lui. Voilà pourquoi son départ est lourd de sens et douloureux. Quincy nous a accompagné à un moment ou à un autre que ce soit avec Ain’t No Corrida, Give Me The Night ou Billie Jean, pour ne citer que ceux là.
Années 1950
Depuis son entrée dans le métier au début des années 1950, celui qui était née le 14 mars 1933 à Chicago, aura travaillé avec Miles Davis, Franck Sinatra, Count Basie, Michael Jackson, Ray Charles, James Ingram, Paul Simon, Aretha Franklin, Tevin Campbell, Jacques Brel, Charles Aznavour, Lionel Richie…la liste est loin d’être exhaustive. Une diversité et une longévité uniques. Quincy avait commencé la musique par la trompette et le chant gospel, passage obligatoire pour un afro-américain dans les années 1950. Il obtient son diplôme universitaire en 1950 puis étudie à l’école « Schillinger House » de Boston. Plus tard, cette école deviendra plus connue sous le nom « Berklee School of Music ».
New-York
Après quelques années à Schillinger, il s’installe à New-York, lieu inévitable pour réussir dans la musique à cette époque. Là, il trouve du travail comme arrangeur et écrit quelques titres pour des artistes comme Count Basie, Cannonball Adderley, Tommy Dorsey et Dinah Washington, entre autres. Ses arrangements sont très classiques et reposent beaucoup sur cordes et cuivres. En 1953, il obtient son premier poste important. Il devient musicien au sein du groupe de Lionel Hampton. Il continuera avec les formations de Art Farmer et Clifford Brown, légendes du jazz. Trois ans plus tard, Dizzy Gillespie lui demande de jouer dans son groupe. Trois ans plus tard, le même Gillespie lui donne la lourde responsabilité de former son nouveau big band en choisissant lui-même les musiciens et en menant l’ensemble. En 1956, il sort le premier album sous son nom. Ce sera This Is How I Feel About Jazz.
Paris
Quincy et Nadia Boulanger
Ce n’est un secret pour personne, Quincy Jones était amoureux de la ville lumière. Il découvre Paris en 1957. Il y vient pour étudier avec Nadia Boulanger, une compositrice américaine expatriée dans la capitale française. Il sera souvent rue Haxo, dans le 20eme arrondissement. Pendant son séjour parisien, il travaille pour le label Barclay. Il arrange et produit des titres pour Jacques Brel et Charles Aznavour. Son travail chez Barclay impressionne l’équipe du label Mercury, label américain qui dispose de bureaux à Paris. En 1961, il est nommé vice-président de Mercury. Quincy est le premier noir nommé à un poste de cette importance dans une société américaine. Un de ses premiers gros succès commerciaux chez Mercury sera la chanson It’s My Party pour la chanteuse Lesley Gore. C’est son premier succès hors des frontières du jazz. À la même époque, il signe en freelance des chansons à succès pour un certain Ray Charles chez Warner. Il ne cessera jamais de venir à Paris tout au long de sa vie.
Retour aux USA
Quincy et Franck Sinatra
Après cette première parenthèse parisienne, il rentre aux Etats-Unis. Il compose sa première musique de film en 1963 pour le long-métrage The Pawnbroker (le prêteur sur gages en français) de Sydney Lumet. Il en composera 33 de plus les décennies suivantes. En 1964, son travail avec Count Basie mène à la rencontre avec Franck Sinatra. Il signe les arrangements de l’album It Might As Well Be Swing pour ce dernier. Basie, Jones et Sinatra se retrouveront ensuite pour travailler sur Sinatra At The Sands. Quincy Jones signera les arrangements du dernier Sinatra intitulé L.A. Is My Lady en 1984.
Walking In Space et plus
Tout au long des années 1960, Quincy Jones a réussi à maintenir un bon rythme comme arrangeur, compositeur et producteur. L’année 1969 va faire décoller sa carrière solo. En effet son album Walking In Space est commercialisé cette année là. Avec cet opus, il recadre son style. Sa musique passe du big band traditionnel à un jazz fusion plus dans l’air du temps. Il se nourrit de la pop, du rock et du R&B de son temps. L’œuvre est un succès populaire et médiatique. Le titre éponyme remporte le Grammy Awards pour la « meilleure performance jazz instrumentale ». Sa carrière solo est propulsée à un autre niveau. Dans la foulée, il travaille avec Aretha Franklin et Paul Simon. Pour ce dernier, il s’occupe des arrangements des cordes sur l’album There Goes Rhymin’Simon. C’est l’époque des critiques qui accusent Jones de s’éloigner du jazz. Ces mêmes critiques lui reprochent son rapprochement avec la pop. Sans importance. Jamais Quincy Jones ne cessera de s’impliquer dans la culture afro-américaine, jazz ou autre. En 1991, il arrive à convaincre Miles Davis de monter sur scène avec son ami Gil Evans pour interpréter à Montreux leurs classiques Sketches Of Spain, Miles Ahead et Porgy And Bess. Quincy sera le chef d’orchestre. Ce sera l’un des derniers grands concerts de Miles avant son décès quelques mois plus tard.
Années 1970 et 1980 : plus haut que le sommet.
Ces deux décennies vont faire de lui une légende. Pourtant, il vit un moment dramatique en 1974 qui remet tout en question. Cette année là, il est victime d’une rupture d’anévrisme. Pronostic vital engagé. Il s’en remet et décide de calmer un peu son rythme de travail pour se rapprocher de sa famille. Projets moins nombreux mais succès phénoménal planétaire. Dans les années 1970, il produit des titres R&B importants pour les Brothers Johnson et pour Rufus & Chaka Khan. Des artistes adulés dans la communauté afro-américaine et chez les amateurs de R&B du monde entier. Il faut dire que le bassiste Louis Johnson est impressionnant par sa dextérité et sa rapidité. Quincy l’utilisera ensuite pour l’enregistrement de Thriller. En 1977, leur album Right On Time est un succès planétaire grâce aux titres Brother Man, Free Yourself, Be Yourself et Strawberry Letter 23 (écrit et composé par Shuggie Otis). Quincy est à la production et aux arrangements. Le titre Q écrit et composé par les frères Johnson lui rend hommage. Pour Rufus & Chaka Khan, il travaille sur l’album Monsterjam de 1979. Patti Austin, Bruce Swedien (ingénieur du son sur Thriller), Louis Johnson, Rod Temperton (proche de Quincy qui écrira ensuite Rock With You pour Michael Jackson, entre autres) sont sur l’œuvre. Sa carrière solo explose avec les albums Bodyheat (1974), Sounds…and Stuff Like That (1978) et The Dude (1981), tous sur le label A&M de Herb Alpert. Ce dernier lui rapporte le Grammy Awards du « meilleur producteur de l’année ». Il termine la décennie 1980 avec son album solo de 1989 Back On The Block. À son habitude, il mélange les générations et les genres. Les artistes R&B Al Jarreau, Al B Sure, Chaka Khan côtoient les rappers Ice-T, Big Daddy Kane et les jazzmen Ray Charles, Dizzie Gillespie, George Benson ou Joe Zawinul pour ne citer qu’eux. Un Hall Of Fame.
Michael Jackson
Quincy & Michael
Ses plus gros succès planétaires ont lieu avec le chanteur des Jacksons 5. En 1979, Quincy Jones a déjà 25 années de métier à son actif. Mais leur association abouti à un résultat inédit et totalement fou. Quincy utilise ses amis dans la profession, les artistes qu’il apprécie pour donner encore plus de valeur à leurs collaborations. 1979 : Off The Wall voit le jour. L’œuvre marque l’année et les trois suivantes. Rock With You, Off The Wall et Don’t Stop Til’ You Get Enough assurent son triomphe. Rod Temperton écrit trois des dix chansons. George Duke et Greg Phillinganes assurent les claviers et pianos, Louis Johnson la bass, Patti Austin les chœurs…les fidèles sont là. Suivront Thriller (1982, 60 millions d’albums vendus), Bad (1987) sans parler du USA For Africa et son We Are The World écrit et composé par Jackson et Lionel Richie. Inutile de s’étendre sur Thriller, tout a été dit et il faudrait dix pages pour en parler correctement.
Quincy et le cinéma
Il avait commencé en 1963 avec Sydney Lumet. Par la suite, ses liens avec cinéma et télévision seront toujours forts. En 1985, il sera sur l’adaptation du roman La Couleur Pourpre d’Alice Walker dirigée par Steven Spielberg. En 1991, il produit la série TV Le Prince de Bel Air et lance au passage la carrière d’un certain Will Smith. Il produira également les séries In The House et Mad TV. Pour le cinéma, il composera également les musiques des films et séries Roots : the saga of an american family (1977), The Wiz (1978), Ironside (l’homme de fer / 1967), In The Heat Of The Night (1967), Sanford and son (1972)…
Quincy et l’amitié
Quincy Jones et Claude Nobs
Quincy Jones & Alex Bugnon
Si l’on en croit les dires de nombreux artistes qui l’ont côtoyés ou de ses amis, la première de ses caractéristiques était la fidélité en amitié et la chaleur dans les relations humaines. Quincy aimait les gens. L’un des plus beaux exemples se situait en Suisse, sur les rives du lac Leman. Quincy Jones était proche du fondateur du festival de jazz de Montreux, Claude Nobs. Pas un hasard si les retrouvailles avec Miles Davis auront lieu là, tout comme l’anniversaire de ses 50 ans de carrière en 1996. Jones et Nobs étaient proches et l’amitié durera jusqu’au décès de Nobs en 2013. Il prouvera aussi dans ses projets que les musiciens sont aussi des hommes qu’il aimait pour ce qu’ils étaient humainement. George Benson, Herbie Hancock, Greg Phillinganes, Louis Johnson et une poignée d’autres étaient les fidèles parmi les fidèles.
Christophe Augros (Merci à Alex Bugnon pour les photos).