Cet artiste québécois, autodidacte, se sert de la musique pour explorer les racines profondes de certaines cultures. Daniel Bellegarde utilise aussi la musique comme thérapie. Rencontre.
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Musiculture : En lisant ta bio, je remarque que tu as étudié au Québec et à Paris. Et tu es d’origine haïtienne : Dans quel ordre tout cela est-il arrivé ?
Daniel Bellegarde : Mon père est d’Haïti et ma mère vient de Québec, mon frère est né en Haïti et moi je suis de Montréal. Bien que ma famille soit installée à Montréal pour des raisons politiques et économiques, nous avons toujours gardé contact avec la Perle des Antilles.Je suis musicien autodidacte et pigiste. Le Canada contrairement à la France n’a pas la même immigration, l’intérêt pour les musiques du monde ou internationales est relativement récent ici. Pour perfectionner mon art, la percussion, j’ai dû voyager ; Sénégal, Brésil, Maroc, etc. Au fil de mes rencontres en France par exemple, à Paris, j’ai croisé des musiciens de plusieurs pays qui m’ont beaucoup aidé dans mon développement et mon apprentissage. Je pense à Silvano Michelino du Brésil, Michel Reman de Martinique, Cyrille Daumont de Guadeloupe,etc.
M : Ton parcours musical est ponctué de nombreuses rencontres et pas des moindres. Ces rencontres sont très éclectiques puisque tu as joué ou collaboré avec Richard Desjardins, Lokua Kanza et Maxime Leforestier, entre autres. Des univers complètement différents : Comment ces rencontres ont elles été possibles ? Qu’ont elles apportées à ta propre musique ?
D.B. : J’ai eu la chance d’accompagner plusieurs artistes en live, en studio, à la radio et à la télévision. J’ai tournée plusieurs années avec Robert Charlebois , ce qui m’a ouvert plusieurs portes. J’ai joué sur l’album Kanasuta de Richard Desjardins parce que le réalisateur Yves Desrosiers (qui a réalisé « Lhasa de Sela ») m’a vu joué en tournée avec la brésilienne Bia .Pour Lokua Kanza, je l’ai accompagné live pour la radio de Radio-Canada et plus tard j’ai joué en première partie de son concert aux « Francofolies » avec Lilison di Kinara (artiste de Guinée Bissau que Lokua a beaucoup aimé…). Avec Maxime Leforestier, c’était pour la télévision à l’émission « Studio TV5 » animé par Michel Rivard (émission diffusée dans tous les pays francophones). Je faisais partie de la « house band « (orchestre maison) télé qui accompagnait les artistes invités. Durant un an j’ai joué avec plusieurs chanteurs et chanteuses de la francophonie internationale. Ce fut une belle expérience ! Sur le plan musical, j’ai été confronté à plusieurs styles, à développer l’écoute, la discipline, etc. Tu apprends à servir la musique des artistes, à développer une sensibilité, une humilité et un respect. Ça m’a beaucoup servi par la suite.
M : Ta musique a de profondes racines dans les cultures des caraïbes, notamment dans les Antilles françaises. Mais tu n’as pas choisi de jouer du « zouk« . Non, tu t’es dirigé vers les racines profondes, vers la mazurka, la béguine : Pourquoi ce choix ?
D.B. : J’ai toujours aimé l’histoire .D’ailleurs mon grand-père, Windsor Bellegarde a écrit « Manuel d’Histoire d’Haïti ». Son frère, Dantès Bellegarde, s’est distingué comme historien, écrivain et enseignant. Je me suis intéressé à l’influence européenne dans la musique des Caraïbes. Recherche de mon identité ? Peut-être mais j’aime aussi les métissages. Les contredanses, les quadrilles et les menuets sont peu connus à l’extérieur des Iles. Plus tard sont apparus les biguines, les mazurkas, les troubadours puis le kompa et le zouk. Historiquement la musique antillaise est métissée et donc bien humblement j’ai voulu lui rendre hommage à ma manière.
M : Tu sembles donner énormément d’importance aux liens entre musique, sociologie et psychologie. Penses-tu comme Oliver Sacks que le rôle de la musique va plus loin qu’un simple rôle culturel ?
D.B. : Bien sûr ! Depuis 10 ans, je travaille quotidiennement à organiser des ateliers de percussion interactive et thérapeutique avec les autistes et les personnes en déficiences intellectuelles dans les centres communautaires spécialisés. Je constate que la musique aide tellement ces personnes. Par exemple, dans un de mes ateliers une jeune femme qui n’adressait la parole à personne, en participant régulièrement à mon activité , s’est mise à chanter, parler et sourire… c’est passionnant ! Ce sont de petits succès et il y en a plusieurs.
M : Concernant ton album « Anba Tonèl », combien de temps as-tu pris pour sa conception et son enregistrement ?
D.B. : Ça été long ; 6 ans. J’ai commencé par un travail de recherche et ensuite de création, puis d’enregistrement et d’arrangement. J’ai été obligé de suspendre pendant un certain temps, faute d’argent mais j’ai persévéré.
M : Où as-tu rencontré tes musiciens ?
D.B. : À Montréal, la moitié d’entre eux n’avaient jamais joué avec moi « live ». C’est risqué mais c’est un beau défi ! Le légendaire guitariste-compositeur Toto Laraque d’Haïti (Caribbean Sextet, Boulo Valcour, etc) a tout de suite accepté pour le studio et le « live ». En studio, j’ai demandé à deux musiciens de la scène trad-québécoise (Bottine Souriante et le Vent du Nord) David Boulanger au violon et Nicolas Boulerice à la vielle à roue qui m’ont aidé de même que mes amis Hassan El Hadi (Maroc) au banjo-oud et Erik West-Millette (Louisiane) à la contrebasse-basse.En live, j’ai découvert le violoniste martiniquais Jean-Christophe Germain (Malavoi) par l’entremise de mon ami et collègue de travail Fabrice Laurent batterie (France) .Il fait partie de mon équipe maintenant .Les autres sont des amis de longue date qui jouent « live » avec moi : Bruno Rouyère (banjo, franco-québécois), Fritz Pageot (bass et manouba-kalimba, basse, Haïti) et Marco Jeanty (voix-percus, Haïti).
M : Sur cet album, bien sûr la partie caraïbe est importante mais les sonorités d’Amérique du nord sont également nombreuses ainsi que l’Afrique. Ces mélanges, ton travail avec les ateliers que tu animes au Québec, as-tu pour ambition de changer la société par la culture ?
D.B. : Je pense que je vais répondre en langue créole ceci : « on pèp san kilti sé on pyé bwa pani rasin » (un peuple sans culture c’est un arbre sans racine).
M : Au Québec et vu de France, on a l’impression que la communauté haïtienne prend de plus en plus d’importance en musique. Je pense par exemple à Kaytranada dont le succès sur la scène « urbaine » est impressionnant. Est-ce une vue de l’esprit ou une réalité ?
D.B. : C’est une réalité, il y a plusieurs jeunes artistes d’origine haïtiennes qui sont bourrés de talent. Sur mon CD , j’avais très peu de budget mais j’ai quand même invité un percussionniste haïtien, Diol Kidi, sur un titre, il partait en tournée mondiale avec « Arcade Fire ». C’est la même chose aux États-Unis, j’ai croisé Leyla Mc Calla (violoncelliste-chanteuse) à Montréal qui est comme moi d’origine haïtienne (elle est née à Queens, New-York), elle tourne mondialement en ce moment. Elle s’est fait connaître avec le groupe « Carolina Chocolate Drops » (folk-trad américain et gagnant d’un prix « Grammy » ). J’allais oublié, il y a Mélissa Laveaux de Montréal (chanteuse – guitariste) qui cartonne en ce moment. Il y en a plusieurs et tant mieux !